Déjà, l’exil s’offre une pause. Par décision gouvernementale inopinée (mais pas injustifiée), cette nouvelle expérience professionnelle, déjà si étonnante, s’interrompt brusquement, pour trois semaines. Le soleil tape comme jamais, paraît-il, sur les plages relativement vides de Dar Bouazza; les panneaux de direction vers Marrakech ou Rabat prennent des allures très tentantes; Casablanca, la ville légendaire jusqu’ici traversée à la hâte, ouvre ses bras, sa corniche, ses quartiers; ou encore, l’occasion de préparer la nouvelle rentrée à l’aise, en connaissance de cause, sur une terrasse ombragée, entre parfums d’herbe fraîche et de thé à la menthe, s’avère si belle que… je décide de rentrer au pays, l’autre, pour quelques obligations restées en suspens, pour les multiples dossiers ouverts et, surtout, pour reprendre une bonne dose de famille.
Première impression, dans les rues de Bruxelles : tellement de visages pâles! Selon les quartiers, odeurs, couleurs et coups de klaxon rappellent mon nouvel univers marocain, mais les passants, non: ils ont les yeux clairs, la tenue nette, les souliers cirés; ils parlent presque tous une langue que je comprends; ils s’ignorent du mieux qu’ils peuvent; appliquent des lois, des règlements, sans s’excuser.
Et si ce retour temporaire n’arrivait que pour me prouver ce que je pressentais depuis des années : le Sud, l’océan et moi, c’est une histoire d’osmose ? Irraisonnée, inexplicable, indispensable.
En racontant « mon » petit coin de Maroc aux gens de mon entourage, je tente de rester objective : les fruits « si beaux qu’on se contente des noyaux » mais aussi les poulets tués sans ménagement à même le marché local ; la vie paisible dans l’ensemble mais la pénibilité du travail ; la beauté de certains lieux mais l’extrême pauvreté des autres; la splendeur de bouts de plage et l’exécrable pollution des bords de routes ou terrains vagues.
Comment, à ce propos, aucun Occidental installé sur place n’a encore eu l’idée d’instaurer des processus de recyclage? Pourquoi aucune sensibilisation ne s’effectue auprès de la population ? Problème de riches, certes, mais comment pouvoir encore s’inquiéter du tri des déchets des ménages européens quand des couches entières de détritus couvrent de si grandes surfaces en Afrique du Nord? Celui de mes fils qui s’est lancé dans des études internationales quitte brusquement la conversation, plonge dans des notes de cours, et revient, vainqueur, rapport officiel à l’appui: au palmarès des pays du monde respectant les limites internationales en matière de pollution, le Maroc arrive deuxième.
Le monde à l’envers.