Toujours pas remise du décès de Belle (Belle et Sébastien, 1965) ni, plus tard, de la mort de mon propre chien, voilà ma sensiblerie mise à l’épreuve tous les jours, où que mes pas ou « ma » voiture me mènent. Les chiens sont partout, en effet, bien vivants mais errants. Seuls ou à deux, maigres, souples, ni apeurés ni agressifs, de couleur poussière, quelque soit le ton naturel de leur pelage.
Ils marchent beaucoup, arpentent les bords de route, les plages, les terrains vagues, y lèchent quelque déchet, puis s’allongent en travers de ce qu’ils trouvent : un chantier, un chemin, un rare morceau ombragé de trottoir. A l’instar des chevaux, encore utilisés par les communautés les plus pauvres pour tirer par ci par là des charrettes tous usages (transport de poules, de bidons ou de familles entières) ils restent sans lien dans leur territoire, semblent trouver de quoi se nourrir et se satisfaire de leur destin. Tout le monde les remarque et les contourne, sans les molester. Moi de même.
Et pourtant… Pourtant, cent fois déjà j’ai voulu m’arrêter, pour emporter avec moi l’un ou l’autre de ces êtres. Pourtant, le matin, leurs aboiements constituent le seul bruit audible, avant l’appel à la prière de la mosquée voisine. Pourtant, l’un d’eux m’a suivie, un jour, sur la plage, et je regrette toujours qu’au bout du compte, il ait abandonné.
Sentimentalisme d’Européenne? De gamine gâtée? Ou au contraire dureté nouvelle, par la force de l’âge? Toujours est-il que les chiens restent dans le terrain vague, et moi, dans la résidence de vacances juste à côté. Pour le moment.