Tué dans l’oeuf

Belgique.

Les champs s’étendent sur plusieurs centaines de mètres. Il ne fait plus jour, mais il ne fait pas nuit. A cette époque de l’année, en début de soirée, le coucher du soleil s’amorce exactement entre deux chênes encore feuillus, au loin. Quelques gouttes de rosée tardive brillent dans le jardin, au creux des courbes d’herbes mal tondues.  C’est l’instant de grâce : immensément beau, silencieux, généreux. Le seul moment où l’océan ne me manque pas. Fallait-il donc que je m’y attache ! Que je considère comme acquis le privilège de voir ce bleu de près quand je le voulais ! Que je colle à ce point aux paysages, à ses accrocs, aux regards des habitants et à leurs couleurs de peau ! La nostalgie n’est donc pas près de s’estomper, maintenant que l’aventure, déjà, bien trop tôt, est terminée.

L’origine de l’échec : un différend avec l’école belge de Casablanca, magnifique édifice, antre d’une jeunesse touchante, mais aussi temple du petit esprit. Pour y durer, il faut courber l’échine, accepter mépris et méprises, se taire. Ce que je fais et ferais encore par amour, je refuse de le faire par profession. Alors je dis, et ne dure pas.

Qu’est-ce que j’aurais aimé, pourtant, attendre vos visites à Dar Bouazza ; y connaître la pluie, l’hiver ; adopter à jamais la philosophie de la fatalité et, surtout, de la solidarité face à elle ; amener ces élèves vers la valeur de la littérature, les voir grandir, se rebeller, apprendre, partir.

Dans les nombreux moments de solitude que je recherche depuis mon retour prématuré, ce sont leurs visages, d’abord, que je vois. Puis viennent ceux des plus ou moins proches, ces compagnons d’exil qui deviennent vite sinon amis du moins essentiels, équilibrants : Ophélie, ma marraine d’accueil, et sa liberté, sa crinière, sa couleur, toutes enviables ; Thomas et son humour généreux ; David, parce qu’il me rappelait mes fils ; Romain et son écoute ; Michaël, qui a suivi Magali jusqu’à Casablanca et joue, sans le savoir, les relations publiques à la perfection ; ce couple d’instituteurs à la Dacia belge dont j’ai oublié les noms, adorables ; le garde de la résidence, et celui de l’école ; Nadia, semblable et fugace ; tous les membres du café des lecteurs, envoûtants ; le boulanger, le technicien, les serveurs, charmants.

Je pleure la fin de ces petits amours-là, comme je l’aurais pleurée en juin, mais donc plus fort. Je pleure Casablanca, dont je n’ai vu qu’une infime part. Je pleure le projet avorté dans l’œuf, et les bris de coquille.

Sauf peut-être en début de soirée, quand le coucher du soleil s’amorce à l’horizon.

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